24 novembre, 2006

Présentation de l’œuvre De Jos De Maegd

Tableau de Jos De Maegd "Que nulle ne souflle" 1988, 55 x 73



Comment aimer l'œuvre de Jos De Maegd?
Par Pros Van Osmael, (poète et ami de Jos De Maegd)
(Le texte se trouve dans le catalogue; Jos De Maegd, exposition Wolu-Culture à la Médiatine, Woluwé Saint-Lambert 1989)

"Des années de connivence avec l'œuvre de Jos De Maegd m'autorisent, je pense, à vous la présenter. Il est vrai que j'eus la chance de voir évoluer l'œuvre de l'artiste dès ses débuts avec, entre autres, le Prix de Rome. On pouvait le situer dans le sillage de l'expressionnisme flamand, mitigé sans doute par un intimisme poétique. Ses portraits de femmes et enfants en font foi.

C'est une nature morte qui m'a permis de saisir son évolution du figuratif à l'abstrait: quelques pommes sur une nappe. Dans ce tableau les objets prenaient clairement une signification purement picturale: des taches sphériques dans une séquence rythmique, à l'intérieur d'un espace sans perspective. La démarche vers l'abstraction était entamée...

De temps à autre le peintre fut encore attiré par la représentation « figurative» d'un paysage, d'une nature morte, d'un portrait, mais ces quelques tableaux ne furent que des moments de détente des tensions que lui conférait l'abstraction picturale.

Dans cette façon abstraite de travailler, il aspirait - sans nul doute à réaliser ce que tous les grands peintres ont cherché, notamment à exprimer et refléter, dans les limites des moyens picturaux, toute leur personnalité au moment de la création.

Peuvent en témoigner par analogie les différentes toiles où Monet a représenté l'étang de son jardin à Giverny: chaque fois le même sujet, mais chaque fois aussi quelle différence d'interprétation! L'artiste existentiel! Tel qu'il est au moment même et unique de la création. Au regard du touriste visitant Giverny la représentation de cet étang par Monet frôle la non-figuration.

En solitaire et en pleine conscience du risque de rester incompris par son entourage, J os De Maegd a fait le long et difficile chemin vers l'expression de son univers intérieur sans faire appel aux choses maté­rielles qui l'entourent.

Dans le cas de De Maegd le risque n'est pas minime. Ce qu'il veut nous communiquer dans ces moments de créations existentielles n'est pas simple. La tension émotion elle est en effet chaque fois organiquement reliée avec tout ce qu'il a pu acquérir comme vision sur la «condition humaine ". Vision acquise par des expériences vécues, son engagement
social et culturel, la maîtrise du métier, ses lectures et surtout sa réflexion et son attitude fondamentalement inspirées par le message chrétien, y compris la critique intensément ressentie sur la façon dont cet idéal fut et est habilement détourné de sa signification originale.

Devant j'œuvre abstraite de Jos De Maegd, je me suis toujours senti dans un état que A. Rimbaud décrit comme un "dérèglement de tous les sens ».

Au début, j'eus certes quelque mal à me familiariser, somme toutes à apprendre à «écouter avec les yeux », de toute manière à tendre vers un état où penser et ressentir se compénètrent sans l'intrusion de la parole. C'est l'état dans lequel je me sens en écoutant une œuvre musicale classique avec cette restriction, qu'à l'écoute de la musique les suggestions verbales de la pensée peuvent facilement être conte­nues; la formulation intérieure des mots est-littéralement et au figuré - submergée par l'apport des consonances musicales.

Faire taire la réflexion verbale dans le silence absolu qui règne autour d'une œuvre plastique est bien plus difficile car l'afflux des mots appelle toujours des précisions conceptuelles lors de la prise de conscience. De ce fait, nous sommes mentalement occupés à assimiler ces abstractions tandis que, dans l'œuvre elle-même, quelque chose d'inexplicable est à l'ordre; l'instant existentiel et total où l'artiste se trouve durant sa création. Cet état est chaque fois unique et insaisissable, pour la pensée abstraite.

C'est ce que j'ai ressenti clairement devant un tableau de Jos De Maegd qui m'est familier. Des mois durant, le regard et l'appréciation allaient de pair avec un flux de réflexions internes et une traînée de mots jusqu'à ce que j'en fusse saturé intérieurement. C'est alors que vint le moment béni de l'expérience; celle de la" compréhension" non-verbale, le saisi intense pré-verbal, le ressentir, la« catharsis»! Ce n'est qu'à cet instant que cette œuvre s'est dévoilée, non seulement pour ma pensée discursi­ve et ma sensibilité, mais aussi pour ma perception sensorielle. J'eus enfin l'intuition, intelligible mais non transmissible avec des mots, de l'unique beauté de l'œuvre, de son entité, de son existence propre. Ce que j'ai compris en cet instant était tout autre chose que le discours - fût-il profond - d'antan. Qui plus est, cette" catharsis" ne s'est depuis plus répétée d'une façon analogue, bien qu'il s'est produit - dans certaines limites - une communication existentielle unique entre cette œuvre et moi.

Le malheur veut qu'à notre époque, nous voulions tout avoir, tout comprendre, tout et tout de suite, même dans le domaine de la jouissance esthétique. Nous déambulons devant les œuvres d'art, nous formant immédiatement une idée en la verbalisant intérieurement (parfois aussi extérieurement). Cette attitude fait obstacle à l'expérien­ce en profondeur et laisse l'artiste esseulé" clamer dans le désert ".

Puis-je terminer ces impressions par une suggestion? Si vous avez le bonheur de devenir« amoureux» d'une des œuvres exposées - le coup de foudre, cela existe! - oubliez tout le reste. Cet instant béni est le commencement de la sagesse, du moins pour ce qui est du bonheur esthétique.
Mais n'essayez surtout pas de devenir amoureux de tout en une fois, surtout lorsqu'il s'agit de l'œuvre de J os De Maegd. Et si ce coup de foudre provoque un réel intérêt pour l'œuvre entière, estimez-vous heureux. Il ne vous sera alors point difficile de prendre le temps pour une seconde visite. En amour, nous sommes tous - jeunes ou moins jeunes - assez habiles à prendre le temps!"