
Comment expliquer l'inexplicable?
Par Jos De Maegd
(Le texte se trouve dans le catalogue Jos De Maegd exposition Wolu Culture à la Médiatine, Woluwé Saint-Lambert 1989)
"Toute œuvre plastique est signe, symbole, métaphore.
Il peut paraître pédant et même inutile de le répéter. Mais l'expérience m'a appris qu'il n'est pas toujours facile de "comprendre" ces signes, il nous faut une clé. Certes cette clé est complètement inutile SI l'attitude fondamentale n'est pas celle de la contemplation, de la réceptivité, de l'ouverture à l'œuvre...
Comment est-il possible de traduire avec des moyens picturaux, avec des pigments de couleurs, mais aussi avec de la matière compacte, une philosophie, une conception" d'un monde qui se cherche, non obstant une complexité toujours plus grande... ?”
Ce but paraît utopique. Mais n'apparaît-il pas que les éléments picturaux de cette œuvre, aussi divers soient-ils, tendent à une totale harmonie malgré la complexité de l'ensemble. Si cet amalgame de matière non encore structuré définitivement, strié et tourmenté par endroits, parvient à vibrer, à vivre, à parvenir à une harmonie de couleurs et de nuances sans s'opposer, s'acceptant non seulement mais s'entendant, se compénétrant et se complétant, j'espère avoir traduit en partie ma vision du monde. Dans cet univers rien n'est figé, fixe; tout reste en mouvement, il y a possibilité de changement...
Pour être plus clair encore, je pourrais tâcher d'opposer cette œuvre â celle d'un peintre comme Mondrian. Chez Mondrian, rejet par excellence de la matière, ceci pour des raisons bien définies: un monde qui se veut parfait, pur, rationalisé à outrance. Les formes réduites aux seuls plans géométriques, aux délimitations rigides, les couleurs simplifiées au strict minimum, se juxtaposant et se contrebalançant jusqu'à un équilibre parfait, définitif, symbole et signe d'une société parfaitement hiérarchisée et équilibrée, le meilleur des mondes. Le rêve de Platon et de tant d'autres. Mondrian calque sa vision du monde sur celle de l'univers mécanique du Grand Horloger.
Quoique admirant Mondrian en tant qu'artiste ayant réussi à traduire sa vision d'une manière aussi limpide, il soit évident que mon œuvre se trouve à l'antipode de cette vision.
Certes un monde non structuré est impensable, ce serait le chaos. Mais scion moi des structures trop parfaites et trop définies peuvent être un empêchement à la rencontre de l'autre. Des délimitations rigides, barrières endiguant les tensions, peuvent en effet porter obstacle à plus d'humanité et d'amour. La réalité est complexe, mystérieuse, mais pleine de promesses, de possibilités créatrices...
Klee et Rothko avaient, à celte époque déjà, exprimé chacun à leur manière cette conception. Et bien avant eux Rembrandt - à l'encontre de Fra Angelico par exemple avec ses couleurs diaphanes et quasi immatérielles - parvenait à faire surgir de la matière la lumière. Pour conclure: que penser d'Anselm Kiefer?"
Jos De Maegd
«Dans l'art comme dans la vie, tout est possible, si à la base il y a l'amour»
Marc Chagall